Rolando Iván Magaña Canul
5 novembre 2024Participation au Colloque « Extractivismes : processus, critiques et alternatives » du 90e Congrès de l’Association francophone pour le savoir (Acfas), 2023.
Benoit Éthier ; Annette Dubé ; Sipi Flamand, Janis Ottawa ; Héctor Torres ; Julio Parra ; Rolando Iván Magaña Canul
Des membres du projet PSÉA ont exposé leur réflexions et expériences sur l’extractivisme dans les territoires autochtones du Canada, du Chili et du Mexique. Les effets des activités extractives sont ressentis au quotidien par les populations qui habitent ces territoires. D’une certaine manière, l’extractivisme est lié à la violence ontologique, à l’épistémicide, à la dépossession et au saccage vécus dans diverses régions du monde. L’extractivisme a un impact sur l’humanité dans son ensemble et, en particulier, sur les peuples autochtones en raison des ressources naturelles contenues dans leurs territoires. La préservation de ces richesses est fondamentalement due au maintien des épistémologies relationnelles des peuples autochtones, c’est-à-dire des conceptions de l’interdépendance avec la terre, les animaux, l’environnement, les générations passées et futures, ainsi qu’avec les autres personnes et communautés avec lesquelles ils interagissent. L’extractivisme cherche donc à rompre cette relation complexe des peuples autochtones avec leurs territoires et leur mémoire collective qui est à la base de leurs identités.
Au Québec, Canada, les Atikamekw Nehirowisiwok ont récemment défendu leur territoire ancestral (Nitaskinan) contre l’incursion d’une entreprise forestière. La zone contestée, où les Atikamekw Nehirowisiwok s’approvisionnent du sirop d’érable, est gérée par une famille de la communauté de Manawan. La collecte et la transformation de l’eau d’érable font partie d’une pratique sacrée et protégée chez les Atikamekw Nehirowisiwok. La lutte pour préserver cette partie du territoire ancestral est donc une façon d’honorer la mémoire de leurs ancêtres et de respecter leur responsabilité et contribution à l’égard des autres familles et des prochaines générations. La bataille a été menée sur deux fronts. D’abord, des mesures d’harmonisation ont été mises en place. Devant les signes d’irrespect des intérêts autochtones, une demande de cessation de toute activité forestière dans la zone a également été formulée. D’autre part, plusieurs familles atikamekw nehirowisiok ont installé un campement pendant près d’un an pour demander un moratoire à partir de février 2022. Après une longue période de négociations, le gouvernement et l’entreprise ont reconnu leur erreur, mais sans conséquences juridiques ou économiques au bénéfice de la nation atikamekw nehirowisiw.
Dans le sud du Chili, les Mapuches vivent une réalité similaire à celle de la nation atikamekw nehirowisiw face aux entreprises forestières et fruitières sur leur territoire ancestral (Wallmapu). Le coupage des arbres et l’expansion des plantations fruitières pour l’exportation entraînent la perte de la biodiversité et empêchent la continuité de leurs pratiques traditionnelles. Par coïncidence, les niveaux de pauvreté sont plus élevés dans les zones où des activités extractives sont mises en œuvre. Les communautés mapuche sont pratiquement encerclées par des plantations forestières et fruitières. C’est pourquoi la récupération des connaissances foncières des Mapuche suscite un vif intérêt. Avec le soutien de chercheurs, d’étudiants, d’éducateurs traditionnels et d’enseignants, les Mapuche systématisent les modes d’utilisation de leurs territoires. Cette action contribue à la défense des ressources indispensables à leur survie physique et spirituelle, comme les rivières menacées par la pollution de l’industrie fruitière. Le calendrier socionaturel que les Mapuche ont construit comprend au moins 29 pratiques liées à l’utilisation variée du territoire ancestral. Les usages du territoire sont classés en activités productives, sociales, spirituelles, de rassemblement, de soins et de préparation. Dans l’ensemble, les activités du calendrier socionaturel sont éloignées de la rationalité extractiviste des entreprises forestières et fruitières. Avec la systématisation et la récupération des connaissances liées à la terre, les Mapuche cherchent à renforcer leur autonomie, à mieux contrôler le territoire et à se réapproprier leurs connaissances.
Dans le sud du Mexique, les Mayas défendent leur territoire contre l’extractivisme « énergétique ». L’implantation de parcs éoliens et solaires ne tient pas compte des droits ancestraux et des connaissances du peuple maya sur son territoire. En réponse à cette situation, les Mayas s’organisent au sein de leurs communautés pour exiger davantage de connaissances et de participation à ce type de projet. À l’instar de l’extraction du bois et de la production de fruits au Canada et au Chili, au Mexique, l’effet le plus immédiat de la construction de parcs éoliens et solaires est l’impossibilité pour les habitants des communautés mayas de maintenir leur relation quotidienne et spirituelle avec leurs territoires. Néanmoins, certains groupes ont commencé à développer des stratégies pour récupérer leurs connaissances territoriales.
Les cas présentés lors du colloque sur l’extractivisme confirment le manque de protection de l’État sur les territoires ancestraux, mais aussi la violation des normes nationales et internationales sur les droits des autochtones par les représentants des entreprises extractives. Les activités extractives rendent invisibles les autres usages possibles des territoires et le rôle des peuples autochtones dans la préservation de l’environnement. Dans ce contexte, les peuples atikamekw nehirowisiw, mapuche et maya tentent de récupérer leurs connaissances territoriales afin de les transformer en pédagogies décolonisantes conformes à leurs propres épistémologies. Pour atteindre cet objectif, il faut une solidarité externe et une unité entre les familles et les communautés autochtones. C’est là que réside le succès de la participation des membres de l’équipe PSÉA à ce type d’espace scientifique.